Les frères Martel à Saint-Jean-de-Luz

Article publié le 19 septembre 2019, par Philippe Dufour (Gazette Drouot)

Sollicités par Robert Mallet-Stevens pour décorer le casino du port basque, les jumeaux sculpteurs imaginent une frise célébrant la province atlantique. Loin de toute veine folklorique, elle affirme avec éclat la modernité de ses auteurs. Analyse.


Jean et Joël Martel (1896-1966), Le Pêcheur basque et ses filets, bas-relief en staff réalisé pour le casino La Pergola à Saint-Jean-de-Luz, 121 x 148 cm (détail).

Coiffée d’un béret, la silhouette massive d’un pêcheur aux épaules surdimensionnées attire le regard, jouant du contraste avec les lignes fuyantes des filets. La sculpture de plâtre apparaît comme maçonnée par de larges volumes géométriques, où vibrent l’ombre et la lumière… Vous aurez reconnu le style inimitable des frères Martel, défenseurs d’un art déco synthétique, parfois simplifié jusqu’à l’extrême. Le sujet de leur œuvre a été choisi en accord avec l’édifice qu’il devait longtemps orner : le casino de La Pergola à Saint-Jean-de-Luz. 

Après la Première Guerre mondiale, le pittoresque port de pêche devient également une station balnéaire à la mode ; l’architecte William Marcel y édifie à partir de 1923 un hôtel, assorti de l’indispensable établissement de jeux. Quatre ans plus tard, son confrère Robert Mallet-Stevens reprend le chantier et en achève l’aménagement intérieur ; il fait alors appel à Louis Barillet et Jacques Le Chevallier pour les vitraux, et à Jean et Joël Martel pour le décor sculpté. 

Pour égayer la partie haute des murs de la salle des fêtes, les deux artistes dessinent un ensemble de dix-huit bas-reliefs de staff. Scènes de la vie quotidienne, fêtes basques et vues des villes de la région côtière en constituent les thèmes… Auxquels viennent s’ajouter  de manière assez étonnante  des épisodes du Nouveau Testament, parmi lesquels un remarquable Saint Jean-Baptiste, désormais exposé au musée des Années 30 de Boulogne-Billancourt.

Décor et architecture en symbiose

De cet ensemble, aujourd’hui disparu à la suite de transformations menées après 1950, on peut affirmer qu’il était l’un des plus aboutis de tous les cycles décoratifs conçus par les Martel  et ils furent nombreux. Dans leur ouvrage consacré au célèbre duo paru en 1996 (éditions Gallimard-Electa), Emmanuel Bréon et Bruno Gaudichon en rappellent les qualités : le sens du rythme, qui fait alterner compositions au cadrage resserré (les personnages) et plus large (les paysages), mais aussi la stylisation puissante des figures, témoignant du souci chez nos plasticiens de la parfaite intégration de l’œuvre à la structure. 

Après une formation à l’École nationale des Arts décoratifs, à Paris, intégrée dès 1912, les jumeaux Joël et Jean Martel vont s’adonner ensemble à la sculpture, appliquée tant à des monuments officiels qu’à des sujets plus réduits, souvent édités en grès ou en verre pressé. Mais d’autres projets, plus avant-gardistes, naîtront de leur collaboration avec des architectes, et, en particulier, du plus radical d’entre eux, Robert Mallet-Stevens. 

Éclosent alors les arbres cubistes en ciment armé, présentés à l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels de 1925, ou encore le bas-relief pour l’entrée de la villa Noailles à Hyères (1923-1928), ainsi qu’un incroyable miroir polyédrique pour son salon. Et quand le ténor de l’architecture fonctionnelle aménagera l’intérieur de la villa Cavrois, à Croix (terminée en 1932), il passera commande de plusieurs reliefs aux Martel, notamment un panneau représentant des jeux, livré pour la salle à manger des enfants.