Un logis pour quatre skieurs

Un logis pour quatre skieurs

Un article paru, pages 20 et 21, dans la revue " Maisons et Intérieurs pour Tous " n° 128 du 15 janvier 1938.


© Archives familiales Martel

Celui qui aime le ski en France quitte la neige pour rentrer, ou bien dans un hôtel confortable certes, mais dont les Chambres sont décorés de tapisseries invraisemblables ; ou bien dans une Maison de village sympathique peut-être, mais sans confort et inhabitable, car l’on a placé hâtivement dans chaque Chambre le plus de lits possible pour la location.

Dans un endroit : souvent faux luxe ; dans l’autre : inconfort. Dans les deux, rien n’a été prévu pour le séchage des vêtements, chandails, moufles, chaussettes, chaussures, que l’on pend tant bien que mal au-dessus des radiateurs, que l’on brûle souvent, et que l’on doit reprendre encore humides.

Le programme tracé était d’aménager dans le minimum d’espace (4 x 4) une pièce dans laquelle 4 skieurs pourraient vivre confortablement et agréablement : se reposer, se laver, faire sécher leurs vêtements et faire leur cuisine. Ils y dorment en deux lits superposés (on accède au lit supérieur par une échelle) sur des matelas-sommiers indéformables.


Plan d'un chalet pour quatre skieurs

Ils y mangent sur une petite table qui peut se déployer et permet alors à 8 personnes de prendre leurs repas (en général, c’est le repas du soir que l’on prend chaud dans les Chalets, celui du matin s’emporte dans les sacs et se mange sur les crêtes) ; car, après une journée de sport, on aime à se réunir nombreux autour d’une table. La table repliée ne mesure que 40 centimètres et permet la circulation dans la Chambre.


La table dépliée

Ils y font leur toilette dans une « pièce d’eau » contenant un lavabo, un bidet, une douche avec son collier et sa cuvette, quatre armoires individuelles et quatre crochets pour les serviettes.


La pièce d'eau 

Ils y placent leurs effets dans une penderie et une armoire commune. Chaque skieur dispose de 3 casiers qui peuvent s’enlever aisément pour le rangement plus facile et au besoin servir de valises pour transporter les effets d’un Chalet à l’autre, le modèle d’armoire étant partout le même.

Deux meubles suspendus pour éviter l’encombrement peuvent se déplacer latéralement sur glissières, l’un formant bureau-bibliothèque, l’autre aménagé pour contenir : phono, disques ou TSF.


Les meubles de rangement au premier plan

Au chevet des lits, des niches sont aménagées pour les lampes et pour les livres. Des filets à la tête des lits peuvent recevoir des effets. Les valises se placent sur le plafond du cabinet de toilette. Les sièges s’emboîtent les uns dans les autres, quand on n’a pas à s’en servir. Au mur est fixée une plaque de liège pour y piquer des cartes et des photos.


La table dépliable et le double lit superposé

Aération et chauffage

La fenêtre « trou de vue » de 1 x 1, dont le châssis à un seul carreau rentre entièrement dans l’allège, permet à tous de voir le paysage de neige, en mangeant. Une hotte au-dessus du réchaud de cuisine permet l’évacuation des odeurs de cuisine par un vasistas aménagé derrière. Le chauffage est assuré par radiateurs.

Séchage

A l’entrée de la Chambre, on se débarrasse des effets humides que l’on place sur l’appareil de séchage, utilisant la tuyauterie chauffante du radiateur et permettant le séchage rapide des effets, chaussettes moufles, etc., sans les brûler. Un dispositif spécial permet à la neige fondue qui tient aux chaussures de s’écouler dans une canalisation. Les sacs sont posés au-dessus de l’appareil de séchage.

Cuisine 

Système de lave-vaisselle rapide. Une planchette ajourée au-dessus du fourneau, placards pour la batterie de cuisine, la vaisselle et le matériel de camping. Un garde-manger à fermeture hermétique reçoit l’air de l’extérieur par des trous aménagés dans le mur et tient lieu ainsi de glacière. 

Matériaux 

Tout est en bois naturel : cloison, plancher, plafond, meubles.

Il y aura 10 Chambres semblables, plus 4 Chambres à deux personnes, dans le Chalet de montagne conçu par l’architecte Charlotte Perriand, et qu’une société construira en série. Chaque Chalet sera entretenue par un gardien, qui est en louera les Chambres, à un prix modique.

Le prix de revient de cette Chambre-type, tout installée, a été réduit au minimum. L’isolement du Chalet contre le froid et la chaleur et le confort intérieur des Chambres permettent de séjours aussi agréables en Eté qu’en Hiver.

Jan Martel
I. Vidrascou


Voir ici le chalet des Gets 



Charlotte Perriand a conçu des chalets à Méribel

Charlotte Perriand à Méribel

En 1938, l'Anschluss provoque la fuite de l'Autriche et de ses stations par les skieurs anglais. Le major écossais Peter Lindsay sillonne alors les Alpes françaises à la recherche d'un nouveau site pour y fonder une station et choisit la vallée des Allues. Dès 1938, la première remontée mécanique est mise en place au-dessus du village des Allues et un an plus tard début la construction des premiers hôtels et chalets. Pour l'aménagement intérieur, Lindsay fait appel en 1939 à Charlotte Perriand. Les travaux à Méribel reprennent en 1946. Elle construit son chalet, appelé son refuge, sur un terrain d'environ 3000 m² à 1600 m d'altitude. Extérieurement, il se fond dans le paysage.


Charlotte Perriand en son refuge

Article paru dans la Croix - Auteur : Bénévent Tosseri,  correspondant régional, aux Allues (en Savoie), le 30/07/2019 

Dans la station naissante de Méribel, Charlotte Perriand, l’architecte et designeuse parisienne s’est construit un chalet ouvert sur l’extérieur et fidèle à ses origines savoyardes et à ses influences japonaises. C’est le deuxième volet de notre série d’été consacrée aux « maisons à leur image ».

On imagine volontiers Charlotte Perriand saluant le jour, ses yeux bleus encore ensommeillés. Depuis son lit se dessine parfaitement dans la baie vitrée triangulaire du pignon, la dent de Burgin, pic proche de Méribel, étincelle des premières lueurs de l’aube. La créatrice peut alors se lever, ouvrir la porte-fenêtre donnant au sud, et balancer ses jambes dans le vide, assise sur une plateforme qu’elle a voulue sans garde-corps pour ne pas briser l’harmonie avec la crête, au loin.

Lorsqu’elle a conçu son chalet, Charlotte Perriand (1903-1999) n’a rien laissé au hasard, bâtissant un véritable castelet, d’où elle assiste aux premières loges à la symphonie pastorale exécutée par la montagne environnante.

Les grandes ouvertures posent, encore aujourd’hui, le cadre d’un paysage préservé. Il en sera de même à l’avenir, grâce au classement en 2016 du chalet au titre des monuments historiques. « Il a été conçu pour vivre dans la nature », se réjouit sa fille, Pernette Perriand-Barsac. Un de ces bâtiments démesurés érigés depuis sur la moindre parcelle libre de Méribel aurait pu rompre le charme du petit chalet achevé en 1961, témoin des origines de la station savoyarde.

« À tant faire, repartir des sources »

Les pâturages étaient encore vierges lorsque la créatrice a réfléchi à son projet. Le terrain planté de sapins lui avait été cédé en 1949, en paiement de sa contribution à la création après-guerre de Méribel. « Sans cela, jamais elle n’aurait fait construire. Elle préférait voyager », raconte sa fille.

Faute de moyens, Charlotte Perriand temporise. Pourtant, cette enfant du pays adore la montagne, où elle pratique le ski et l’alpinisme. La designeuse a déjà présenté en 1937 un refuge d’altitude préfabriqué, juste après avoir quitté l’atelier de Le Corbusier, avec lequel elle a travaillé dix ans durant. C’est avec lui et Pierre Jeanneret qu’elle a conçu en 1928 la fameuse chaise longue basculante LC4, mariage parfait de la forme et de la fonction, du cuir et du métal. Dans les années 1940-1950, c’est au Japon et en Indochine qu’elle s’est investie, des séjours qui l’ont marquée à vie.

Elle s’attelle finalement à son refuge en 1958. Un premier plan au toit plat végétalisé est retoqué par la mairie des Allues. Pas assez régionaliste. Qu’à cela ne tienne. « À tant faire, repartir des sources », écrit-elle dans son autobiographie (1). L’architecte reprend le canon local, un toit à double pan, un mur appareillé en pierre et du bois brut.

Pour le reste, elle tente de faire disparaître le bâtiment. Comme dans la grande station des Arcs (Savoie), dont elle fut l’une des ordonnatrices entre 1967 et 1982, elle enterre le chalet dans la pente, au nord. Et l’ouvre largement sur l’extérieur, en utilisant un double vitrage pour ses grandes baies.

Le pays du Soleil levant est partout

Malgré la faible superficie au sol, 40 mètres carrés, les volumes respirent. À l’étage, comme dans son appartement parisien, des portes coulissantes permettent d’optimiser le moindre recoin et d’harmoniser les lieux. « Les cloisons sont une redite, et non comme on le dit souvent une influence du Japon », précise sa fille. Pour autant, le pays du Soleil levant est partout. Dans l’esprit, la communion shintoïste avec la nature préside à l’organisation générale. Dans le détail également : la pierre du seuil, les panneaux de bois camouflant de grands radiateurs, le sol de l’étage recouvert d’un tatami.

Mais les nattes de paille de riz évoquent tout autant le Japon que le foin stocké à l’étage des chalets. Car Charlotte Perriand s’est emparée des codes esthétiques locaux pour mieux les réinterpréter : lit en alcôve, âtre au foyer démesuré.

Autour de grandes dalles de granit faisant office de table, on se love sur des banquettes ou l’on se hisse sur des tabourets de berger. Charlotte Perriand, bonne vivante, a conçu ce petit espace comme « une pièce dans la pièce, écrit-elle encore, pour griller un marcassin, des brochettes, des saucisses, le chapon à Noël, des bananes sous la cendre, pour boire ou chanter, rêver la nuit tombée à la lueur des flammes, l’hiver, bercé par le bois qui chante, dans le silence de la neige qui tombe ».

Le mur opposé s’ouvre sur le terrain dévalant jusqu’au torrent, dont les eaux glacées roulent jusqu’au village des Allues, où elle a choisi d’être inhumée. Bien que ne résidant pas sur place, le maire a fini par accepter sa requête. Maçon, c’est lui qui avait autrefois bâti son chalet.

REPÈRES

Une designeuse au sommet

Le chalet de Charlotte Perriand a été classé monument historique en 2016, malgré l’hostilité de la municipalité des Allues qui craignait de voir certains projets immobiliers entravés.

Propriété familiale, le chalet ne se visite qu’en photographies, dans Charlotte Perriand, l’œuvre complète – Tome 3, paru en 2017 aux éditions Norma.

La Fondation Louis-Vuitton, à Paris, reviendra dans une exposition sur la place de la nature dans le travail de Charlotte Perriand. Du 2 octobre au 24 février.

(1) Une vie de création, paru