Brochure Monument Debussy

 


EDITO


Point d'orgue ? Clé de voûte ? Le Monument à la mémoire de Claude Debussy reste une référence majeure dans l'œuvre considérable des sculpteurs Jan et Joël Martel.


Pour eux, à la fois artistes avant-gardistes et mélomanes avertis, ce défi est colossal. Il aura fallu dix années de combat et d'acharnement, tant dans le domaine purement artistique, recherches, ébauches, projet, contre-projet, doutes, incertitudes, remise en question permanente, que dans le déploiement de leur force de persuasion, avant que ce monument ne puisse être inauguré boulevard Lannes, à Paris.


Au-delà de la querelle des anciens et des nouveaux, du triomphe de la modernité, face à l'académisme, qui apparaît en filigrane dans le processus d'élaboration de cette œuvre, c'est l'éthique des Martel, en tant que créateurs qui s'exprime à travers ce monument. La création, chez l'artiste digne de ce nom, doit s'accompagner de la notion de prise de risque, celui de déplaire, de ne pas être compris. Au propre, comme au figuré, le créateur s'expose. L'artiste ne peut se satisfaire de ses acquis qui le stratifient trop souvent dans la démarche mollement consensuelle de l'exploitation d'un filon lui assurant un confort identitaire et matériel. Les jumeaux sculpteurs s'inscrivent, au contraire, dans une quête artistique active et innovante. Les Martel acceptent de se défier eux-mêmes : comment fixer, dans la pierre, des réalités aussi fugitives, vouées à l'éphémère de l'instant, que la Musique, le Mouvement, la Danse ?


Puisant dans leur système de référence, riche et diversifié : l'Art Égyptien, l'Art Roman, le Nombre d'Or, les Ballets Suédois, les Ballets Russes, leurs contemporains architectes et créateurs et, bien sûr, la Musique de Debussy, ils se nourrissent d'images, de formes, de sensations et d'émotions pour les réinterpréter, les traduire de manière très personnelle, dans la pierre, l'eau et le paysage, qui composent harmonieusement ce monument. Créateurs, à la fois de sens et de forme, ils réalisent ici une œuvre totalement accomplie, chef d'œuvre de pureté et de simplicité : on ne peut rien y ajouter, on ne peut rien en soustraire.


2016 ! Jan et Joël Martel sont nés il y a 120 ans et disparaissaient il y a 50 ans...


Les Artistes tirent leur révérence, mais leur œuvre demeure. D'autres temps, d'autres regards... Il faut alors des passeurs de mémoire, des messagers zélés, qui comprennent, que, pour rester vivante, l'œuvre d'Art a besoin d'un public et de stimuli extérieurs qui la régénèrent et la sortent de la torpeur de l'oubli. Pour cela, il existe les musées, les institutions, les galeristes, certains collectionneurs éclairés mais aussi, et surtout, ces cerveaux intrépides qui, dans l'ombre, animés par leur seule passion, répertorient, explorent, découvrent, comparent, réfléchissent et agissent. Jean-Michel Audéon fait partie de ces amateurs fervents sans lesquels, un projet comme celui-ci, n'aurait pas vu le jour. Ici, la démarche est originale : Il ne s'agit pas de montrer l'œuvre en elle-même, mais de découvrir la genèse du Monument à la mémoire de Claude Debussy, à travers cet ouvrage et par une exposition itinérante. Cette estimable démarche permettra à certains de l'apercevoir, à d'autres de mieux connaitre l'œuvre de Jan et Joël Martel.


Puisse-t-elle être appréciée à sa juste valeur et trouver son prolongement dans d'autres initiatives analogues.


Jean-Christophe MONCYS MARTEL



Pourquoi cette exposition sur le Monument en hommage à Claude Debussy ?

 

Nous sommes en 1923. Les frères Martel ont déjà, derrière eux, une carrière de statuaires reconnus, avec plusieurs commandes de monuments commémoratifs de la Grande Guerre à Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Olonne-sur-Mer, La Loupe, Guise...


A la mort de Debussy, en 1918, un Comité, dirigé par Paul Léon (1), se crée pour élever un monument à la gloire du grand compositeur.


Les Martel grands amateurs de musique debussyenne, musicologues et amateurs d'un nouvel art de vivre, concourent au projet et présentent une première maquette au salon d'Automne de 1923. Lors de la visite présidentielle, elle fut présentée à M. Millerand par Georges Migot, en présence de Madame Claude Debussy et on pense que le monument sera érigé à Saint Germain-en-Laye, la ville où naquit Debussy. Mal compris, le projet, pourtant défendu par Vuillermoz (2), ne convainc pas.


Il faudra attendre 1928 pour que la maquette soit à nouveau présentée dans l'amphithéâtre de la Sorbonne, à l'occasion d'une cérémonie commémorant le dixième anniversaire de la mort de Debussy et son installation à Saint Germain, paraît assurée. Mais dans le Figaro, Eugène Marsan fustige le projet : " Dans la ville, un buste génial et discret conviendrait bien mieux, un Despiau, un Maillol, un Bourdelle. Nous le verrions à la rencontre de la Rue de Lorraine et de la rue de Metz, par exemple. Et la terrasse, conçue par Lenôtre, se passe de toute effigie, de tout monument, surtout celui-là, qui jurerait trop dans tout ce classique.


Enfin, après maintes péripéties, le 12 mars 1930, le journal " L'Ami du Peuple de Paris " annonce que le monument à Debussy, dont l'auteur est Jan Martel, sera prochainement érigé Boulevard Lannes. Deux ans plus tard, le monument voit enfin le jour, inauguré, c'est une première, par le Président de la République Française Albert Lebrun, le 17 juin 1932.


Aujourd'hui, les grands critiques d'art sont unanimes pour saluer ce chef-d'œuvre d'harmonie et d'esthétique, peut être l'œuvre majeure des frères Martel, un travail à quatre mains, une seule pensée pour la réalisation d'un édifice, constitué d'une statuaire monumentale Art Déco, rare exemple dans l'Art Français.


Et je terminerai par la manchette d'un journal, écrite le jour de l'inauguration, accréditant l'ouvre des Martel :

" Quand on songe que, sans ces artistes, sans les amis du maître qui ont su les distinguer, on aurait peut-être à l'heure qu'il est un Debussy verdâtre, en jaquette et barbe en bataille, planté (pourquoi pas, puisqu'il naquit à Saint Germain ?) dans la cour de la gare Saint Lazare, on peut d'abord pousser un soupir et ensuite dire : Merci, signé R. "

 

(1) Paul Léon (1874-1962) fut membre de l'Institut de France, directeur général des Beaux-Arts, professeur au Collège de France, grand-croix de la Légion d'honneur. Il fut le principal historiographe du service des Monuments historiques français


(2) Émile Vuillermoz (1878-1960) est un compositeur musicographe et critique musical français. Connu également sous les pseudonymes de Gabriel Darc ou Claude Bonvin, il fut en 1916 le fondateur de la critique cinématographique en France




" Il faut chercher la discipline dans la liberté. N'écouter les conseils de personne sinon du vent qui passe et nous raconte l'histoire du monde ". Claude Debussy

 

L'expression de cette passion qu'avaient les Martel pour la musique et la danse s'exprime, sans aucun doute, dans l'admirable monument qu'ils réalisèrent avec l'architecte Jean Burkhalter, en hommage au compositeur Claude Debussy (1862-1918).


Peu après la mort du compositeur, un Comité, dirigé par Paul Léon, s'organise pour l'érection d'un monument à Saint Germain-en-Laye, la ville natale de Debussy.


Réfléchissant à cette idée, les Martel et Burkhalter présentent, au Salon d'Automne de 1923, une maquette, projet immédiatement défendu par Émile Vuillermoz :

" La forêt de Saint Germain avec sa distinction et sa finesse de lignes et de couleurs est bien dans le style Mallarméen, légèrement stylisé qui convient à l'Après-midi d'un Faune... Il faut que ce projet se réalise car, dans le cadre idéal, la belle strophe de pierre de Burkhalter et des frères Martel chanterait avec une pénétrante douceur. "


Néanmoins, ce projet, mal compris, ne convaincra pas le Comité, et les errances du dossier conduisent les concepteurs pendant ces 10 ans de maturation à modifier leur proposition, s'éloignant d'un souci symboliste encore flagrant en 1923, pour élaborer le monument d'un élégant classicisme Art Déco que l'on inaugurera en grande pompe le 17 juin 1932, à Paris, Boulevard Lannes.


De nombreux dessins et des photographies de la maquette du Salon d'Automne de 1923 nous renseignent sur la première idée, largement décrite, avec enthousiasme, par Vuillermoz. " Le monument se compose d'une sorte de portique ou de tombeau rectangulaire dont les lignes précises s'affinent et se prolongent dans un miroir d'eau placé à ses pieds... Il semble que les premiers dessins datent de 1919. Une suite de dessins et de projets s'échelonne ensuite à partir de 1921. Comme les bas-reliefs des corps éthérés montant vers le ciel, comme les souffles harmonieux des chœurs ou de l'orque décrit par Vuillermoz.


L'organisation générale du monument de 1932 apparait dans la maquette de 1923 avec le plan d'eau et la construction tripartite du mur écran, sculpté d'un bas-relief central, flanqué de deux figures féminines en ronde bosse. Dans le projet de 1923, le plan d'eau est accessible par un escalier parfois imaginé descendant, ailleurs prévu montant. Il s'élargit de chaque côté du mur écran et est serti d'une présence architecturale beaucoup plus forte avec deux gros massifs latéraux décorés.


Les deux figures féminines sont, en réalité, deux pleureuses de tradition symboliste, spécialement celle de gauche pour laquelle posa Fano Messan, un modèle habituel des Martel. De cette femme demeurent plusieurs études dessinées et des photographies prises dans l'atelier, rue Huyghens.


La maquette de la silhouette de droite, dont le modèle fut Mado, sœur de Jean Burkhalter et femme de Joël Martel, est toujours conservée dans la famille Martel. Nous connaissons également de nombreux dessins et photographies, préparatoires à l'œuvre sculptée.


Il semble, enfin, que le bas-relief du faune joueur de flûte soit à associer à cette première maquette et à rattacher à l'utilisation des photographies et croquis faits par le sculpteur du danseur Malkovsky que l'on retrouve très nettement dans l'œuvre définitive et qui furent également utilisés par les Martel pour le bas-relief des corps éthérés comme en témoignent quelques dessins magnifiques.


Enfin, en 1932, après 10 ans de gestation, le monument est érigé, boulevard Lannes, à Paris le 17 juin 1932. Il est révélé aux officiels, venus l'inaugurer, en présence du président de la République Albert Lebrun. Est souligné alors l'exceptionnelle souscription publique qui permit sa réalisation.


La transformation de l'édifice est particulièrement sensible dans la mutation des deux figures féminines latérales qui abandonnent toutes références douloureuses pour affirmer leur vocation décorative.


La joueuse de viole et la joueuse de luth sont désormais de véritables sculptures architecturales, structurantes pour le monument et surmontant deux murs d'eau dont la sonorité et la mouvance sont des échos à l'œuvre de Debussy. Elles sont de très rares exemples d'une statuaire monumentale Art Déco dans l'art français, très proches de réalisations américaines contemporaines, issues d'une rigidité viennoise qui a alors fait le tour du monde mais dont l'élégance est là très personnelle. La grande science des volumes et l'esthétique très étudiée de ces figures n'échappent pas à la manufacture nationale de Sèvres qui choisit d'éditer les musiciennes pour témoigner d'une nouvelle créativité française. Le choix du biscuit et de la terre cuite est tout à fait bien venu et ces pièces furent éditées sans interruption de 1934 à 1939.


Extraits article par Bruno Gaudichon Joël et Jan Martel sculpteurs (1896 1966) Galimard 1996



Claude DEBUSSY 1862-1918

 

Il naquit à Saint-Germain-en-Laye le 22 août 1862 et mourut à Paris le 25 mars 1918.


Ses parents tiennent un commerce de porcelaine. Pendant la guerre de 1870, la famille se réfugie chez sa tante Clémentine, qui lui fait avoir ses premières leçons de musique avec un musicien italien, Jean Cerutti. A Paris, son père rejoint la Commune et sert comme capitaine dans la Garde Nationale. Quand la Commune de Paris est écrasée par les forces de Thiers, il est arrêté et condamné à quatre ans de prison. Libéré au bout d'une année, il est privé de ses droits civiques.


Selon Charles de Sivry, Achille est confié à Antoinette Mauté de Fleurville, élève de Chopin et belle-mère de Verlaine. Elle le prépare à entrer au Conservatoire de Paris où il est admis en 1872.


Il étudie le piano avec Antoine Marmontel et le solfège avec Albert Lavignac. Il obtient de petits prix pour le piano et le solfège entre 1875 et 1877 et ne peut prétendre à une carrière de pianiste virtuose. Il entre dans la classe d'harmonie d'Émile Durand et dans celle d'accompagnement d'Auguste Baille où il obtient son seul Premier prix.


Il compose ses premières mélodies en 1879 sur des textes d'Alfred de Musset (Madrid, Ballade à la lune).

En été 1880, il est engagé par Nadezhda von Meck, pour apprendre à ses enfants à jouer des duos avec elle. Il séjourne avec la famille à Arcachon, puis à Florence, où il compose sa première œuvre pour le piano et son trio pour piano.


A son retour à Paris, il s'inscrit dans la classe de composition d'Ernest Guiraud, et gagne sa vie comme accompagnateur dans la classe de chant de Victorine Moreau-Sainti. Il y rencontre Marie Vanier pour laquelle il écrit des mélodies sur des poèmes de Théophile Gautier, Leconte de Lisle et Banville.


En 1881, il rejoint Madame von Meck pendant deux mois en Russie. Il est de nouveau à Moscou en été 1882, puis à Vienne pour deux mois.

En 1883, il présente sa cantate "Le Gladiateur" pour le Prix de Rome.

En 1884, il remporte le premier grand Prix de Rome avec sa cantate "L'enfant prodigue".

Il est, pendant deux années, un pensionnaire indocile de la Villa Médicis. Il y compose "Zuleima", "Printemps" (suite symphonique) et "La demoiselle élue" qu'il achève, après son retour à Paris en 1887.


Il fréquente les milieux littéraires et artistiques, y rencontre les poètes symbolistes, se lie avec Paul Dukas. Robert Godet. Raymond Bonheur. Deux de ses Ariettes oubliées sont données à la Société Nationale de Musique. Il compose les Cinq poèmes de Baudelaire et la Fantaisie pour piano et orchestre.



En 1888 et 1889, il se rend à Bayreuth.


En 1905, il signe un contrat d'exclusivité avec les éditions Durand. " La Mer " est créée le 15 octobre 1905.


En 1908, il dirige lui-même l'exécution de " La Mer " et des extraits de Pelléas aux Concerts Colonne. " Pelléas " est créée en Allemagne et à New York, et sa première biographie par Louise Liebich est publiée à Londres. En 1919, Louis Laloy publie, à son tour, à Paris, une biographie de Debussy.


En 1909, à la demande de Gabriel Fauré, il entre au conseil d'administration du Conservatoire. Il se lie avec André Caplet. En février 1909, il est en Grande-Bretagne.


En 1910, " Ibéria " et " Rondes de Printemps " sont créés. Il se rend à Vienne et à Budapest puis, à son retour, il compose " Le martyre de Saint Sébastien ", mystère en 5 actes de Gabriele D'Annunzio. Il se lie avec Stravinsky.


Le 15 mai 1913, création de " Jeux " (poème dansé) par les Ballets Russes de Diaghilev. Il écrit pour la Revue Musicale et dirige la création d'images pour orchestre le 26 février 1913. Il compose le second livre de préludes pour piano, Trois poèmes de Mallarmé, et un ballet pour enfants, " La boîte à joujoux " (piano seul). Il se rend à Saint-Pétersbourg et à Moscou, et, au début de1914 à Rome, Amsterdam, La Haye, Bruxelles, Londres.


Il compose " La Berceuse héroïque " pour une commande du Daily Telegraph pour le " King Albert's Book " En 1915. il subit une opération du colon et passe l'été à Pourville, ville côtière de la mer du Nord. Il y compose la Sonate pour violoncelle, " Blanc et noir " Les Études et la sonate pour flûte alto et harpe.


Il revient à l'un de ses anciens projets " La chute de la maison Usher ". Il écrit une nouvelle version du livret, mais ne compose une esquisse complète que pour une scène.


En mars 1917, il termine la composition de la sonate pour violon, créée à Saint-Jean-de-Luz par Gaston Poulet Ce sera la dernière apparition publique de Debussy.



Joël et Jan Martel 1896-1966

 

L'œuvre commune des sculpteurs Joël et Jan Martel est intimement liée au combat pour l'Art Contemporain, livré entre 1919 et l'année de leur mort.


L'exposition des Arts Décoratifs de 1925 accrédite l'esthétique des deux frères dont les arbres, en ciment armé, sont les points de mire de cette foire mondiale qui marque l'avènement du style géométrique.


Pendant quarante ans, sans jamais revenir sur leurs pas, et sans se répéter, Joël et Jan Martel contribuent à l'épanouissement d'un art monumental qui exprime l'esprit du XXème siècle. Ils favorisent la liaison des arts et collaborent avec les architectes en se pliant à la loi du cadre. Ils concourent, en 1926, à l'édification du premier ensemble urbain moderne que Robert Mallet Stevens met en place à Paris.


Ils comprennent, avant leurs camarades, qu'une civilisation est une manière de vivre. Il faudra dire, un jour, ce que représente l'apport de ces deux altiers maîtres-ouvriers !


Si le cubisme est leur point de départ, ils mettent au jour ses sources.


Sans cesser d'être eux-mêmes et sans fuir leur époque, ils se réclament de l'art éginétique et de l'art médiéval : roman et pré-roman.


Si dans leurs œuvres, le rythme domine le thème, il n'a pas de caractère gratuit. Il traduit, par le jeu des plans et des volumes, l'élan vital d'un monde en état de devenir et d'une génération qui confère à son temps une marque indélébile.


Il est impossible d'énumérer ici les ouvrages des Martel qui impriment une puissante impulsion à l'art appliqué et à la statuaire.


Leurs monuments, leurs fontaines, leurs reliefs d'un accent pathétique, mais d'une rigueur hautaine, scandent la terre sacrée de l'Île de France et des provinces françaises, leurs cités et leurs parcs.


Je n'en citerai que deux : le monument Debussy à Paris, ce modèle d'art architectural, ce portique d'une harmonie sévère (1932), et les oiseaux de mer à Saint-Jean-de-Monts, dans la Vendée (1963).


Ces oiseaux ou fusées ailées et animées, semblent défier les principes de l'attraction terrestre. Ils forment le chant du cygne et l'apogée des deux sculpteurs qui y donnent la mesure de leur génie plastique.


Waldemar GEORGE (1893-1970) 




Joël et Jan Martel dans leur atelier 6 rue Huyghens. Au mur le dessin du monument à Claude Debussy


Jan Martel devant la maquette du premier projet monument Debussy (1923)


Photomontage monument Debussy, gouache et encre sur photographie (Marc Vaux) façade avant du monument


Photographie  (Marc Vaux) de la maquette, façade arrière, premier projet monument Debussy (1923)


Fanny MESSAN 1902-1998

Inspiratrice de la figure de gauche du Monument Debussy

 

C'est en 1902 que Fanny MESSAN, connue sous le nom d'artiste de " Fano MESSAN " voit le jour à Tarbes. Après un brevet élémentaire, elle suivra les cours aux Beaux-Arts de Toulouse. Remarquée et primée durant ses études, elle viendra s'établir à Paris, fin 1922.


La vie est difficile, il n'y a pas d'embauche pour une femme dans ce milieu fermé des sculpteurs. Partout rebutée, elle a l'idée d'adopter des vêtements de garçon et de transformer son prénom en Fano. C'est sous ce travesti qu'elle sera alors admise à gagner sa vie.


Elle rencontre alors les frères Martel dont l'atelier, rue Huyghens, se trouve en face du sien. C'est à leur contact qu'elle se perfectionnera.


Fano MESSAN posait nue pour des photos et des dessins destinés à l'étude du Monument Debussy, ce qui laisse penser qu'au moins deux personnes étaient au fait de la véritable identité sexuelle de leur collaboratrice, alors que les échotiers du village de Montparnasse se posaient régulièrement la question.


Grâce au parrainage des Martel, elle pourra exposer au Salon d'Automne de 1924 son " Androgyne " Les photos la montrent devant son œuvre en veston cravate avec des allures d'éphèbe florentin.


Elle reviendra à trois reprises au salon de 1929, 1930 et 1937.


A partir de 1926, arriveront des commandes d'envergure, essentiellement des fresques, sans pour autant qu'elle délaisse la taille directe dans le bois, l'argile, ou le plâtre.


Le buste du peintre Kees Van Dongen, qu'elle réalise en 1928, salué par la critique, sera le point d'orgue de son parcours artistique.


En 1929 elle fera la connaissance d'un homme aisé, amateur de voitures de courses et ancien vainqueur des 24 heures du Mans, qui la mettra à l'abri du besoin.


Elle continuera sa production jusqu'aux années 30, et c'est seulement dans les années 80 qu'elle reviendra à la taille directe et au modelage.


Ibério OLIVAN



Fano Messan, atelier Martel rue Huyghens (1923)


Fano Messan, dessin Martel pour la figure de gauche, 1ère version du monument


Fano Messan, atelier Martel rue Huyghens (1923)


Mado BURKHALTER 1901-1981

Inspiratrice de la figure de droite du Monument Debussy

 

Mado, c'est ainsi qu'elle se faisait appeler, a laissé à tous ceux qui ont eu le bonheur de la côtoyer, une image de douceur et de profonde gentillesse.


Elle nait le 1er septembre 1901 à Auxerre, en Bourgogne. Elle est la quatrième d'une fratrie de six enfants. Ses parents, Ernest Burkhalter et Jeanne Manifacier sont protestants. Chez les Burkhalter, tous sont mélomanes et musiciens. Des concerts et récitals sont fréquemment organisés dans la maison familiale. Mado, très tôt, révèle une très belle voix, un talent pour le chant qu'elle gardera jusqu'à la fin de sa vie, interprétant de grandes pièces classiques, notamment dans la chorale de l'Oratoire du Louvre. Cette voix, on la retrouve aussi avec émotion dans un 45 tours vinyle enregistré par les Chanteurs et Danseurs du Marais Vendéen, après la guerre.


Orpheline à 14 ans, elle doit vite gagner son indépendance. Courageuse, elle devient infirmière et s'installe à Paris. Quelques temps modèle à l'académie de la Grande Chaumière, elle fait la connaissance de Joël Martel qui partage alors un atelier avec son frère, rue Huygens, dans le même quartier, Montparnasse.


Pour Mado, cette rencontre est la révélation, la découverte du Grand Amour qu'elle portera en elle jusqu'à sa mort. En 1923, elle pose pour le premier projet qui n'est pas retenu du monument à Claude Debussy.


Le frère ainé de Mado, Jean Burkhalter, architecte décorateur, peintre, directeur de l'école d'Arts Décoratifs de Limoges deviendra un grand ami des Martel et collaborera à de nombreux projets communs : notamment à celui du monument à la mémoire de Debussy.


Avec Joël, qu'elle épouse en 1926 à Saint-Jean-De-Monts, elle devient vendéenne de cœur, de double cœur ! Elle adopte tout l'environnement vendéen des Martel : les traditions, le monde paysan, une certaine joie de vivre simple et essentielle... Juste retour des choses, ses qualités humaines sont aussitôt reconnues et appréciées. Ce mariage, orchestré par le talentueux Léon Martel, le père des jumeaux, donne lieu à une fête somptueuse. Long cortège de carrioles enrubannées, transportant les maraichins et les musiciens en habits de fête de l'église de Saint-Jean-De-Monts jusqu'au Mollin, où a été dressée une immense tente. Des chants, des danses, des rires jusqu'à fort tard ; un mariage installé pour longtemps dans la mémoire collective.


Toute sa vie, Mado a su s'adapter aux relations de Joël. En 1927, les Martel s'installent dans l'immeuble particulier, flambant neuf, joyau de l'architecture moderniste, construit "sur mesure" par l'architecte et ami Robert Mallet Stevens. A cette époque, réceptions, concerts, soirées à thème, voient défiler dans l'atelier des frères Martel, une grande partie de l'avant-garde artistique parisienne. Mado est heureuse dans cet univers, stimulée par toutes ces rencontres passionnantes.


Mais elle semble affectionner encore davantage la proximité du monde rural. Son rapport étroit avec la nature, les fleurs, les plantes, les animaux est une forme d'authenticité intuitive qui fait partie de son moi profond, lui permet de se ressourcer, de traverser les épreuves de la vie.


Attentive, prévenante, elle complète et épaule Joël, son artiste de mari. L'été, la maison du Mollin ne désemplit pas. Elle participe à la vie des fermiers et de leur entourage, conseille, réconforte, ne reste pas spectatrice. Dès la fondation du premier groupe folklorique maraichin, par les frères Martel, en 1936, "Les Chanteurs et Danseurs du Marais Vendéen" elle prend une part active, chante et danse bien sûr, participe à toutes les tournées internationales, s'implique dans la logistique, parfois complexe, rassure et veille : certains membres du groupe n'ont jamais quitté leur marais :

Pendant la durée de la guerre, retirés en Vendée, les Martel sont disponibles pour mettre leurs idées et leur talent au service de leur contrée d'origine : ils mènent un combat incessant pour le respect de l'architecture traditionnelle et pour son adaptation raisonnée au progrès du monde moderne. Ils organisent des festivités folkloriques spectaculaires, avec des défilés de chars à bœufs décorés dans Challans. C'est à cette époque qu'ils s'inspirent des travaux des champs et du folklore local dans leurs dessins et leur statuaire. Joël est alors président du Syndicat d'Initiative de Challans.


Toujours discrète et présente, elle accompagne Joël jusqu'à la fin, lorsqu'il est atteint de la maladie de Charcot qui va le paralyser progressivement. Elle se dévoue pleinement à lui et met à profit ses anciennes compétences d'infirmières. Après la mort de son mari, malgré la fatigue, elle s'efforce à être la même, ne se départit jamais de sa bonté, de son courage et de son ouverture aux autres. On se souvient de son visage, très lisse, empreint de bienveillance et d'une infinie douceur : sans artifice elle rayonne. On se souvient d'une belle personne.


Jean-Christophe MONCYS MARTEL



François MALKOVSKY 1889-1982

Inspirateur de la partie centrale du triptyque, première version du monument

 

" Du geste naturel à la danse libre "

 

François Malkovsky, danseur et pédagogue, pionnier de la danse libre, naît en 1889 en Bohême, actuelle République Tchèque. Après des études pour devenir ingénieur des Eaux et Forêts, il suit des cours de chant à Prague. En 1910, refusant de faire son service militaire, il s'installe à Paris où il poursuit des études de chant et de philosophie avant de s'enrôler dans la Légion Étrangère en 1914.


Blessé et réformé durant la Première Guerre Mondiale, François Malkovsky retourne à Paris. C'est à cette période qu'il assiste, pour la première fois, à un spectacle d’Isadora Duncan.


Marqué par cette vision et admiratif de la liberté d'expression de cette interprète, François Malkovsky abandonne ses cours de chant pour se consacrer à la danse libre. Il s'inscrit alors à l'académie de Raymond Duncan pour y suivre des cours de gymnastique intégrale et de tissage.


A partir des années 1920, Francois Malkovsky se produit sur les scènes parisiennes et donne, en parallèle, des cours de danse libre dans diverses écoles avant d'ouvrir son propre studio de danse dans un hôtel particulier, au 41 boulevard Berthier à Paris. C'est à cette même époque que François Malkovsky fréquente les sculpteurs Jan et Joël Martel. Il séjourne à plusieurs reprises dans leur villa de La Chapellenie, à Saint-Jean-de-Monts. Il y rencontre de nombreux artistes et est sollicité par les deux frères afin de servir de modèle pour la réalisation d'un monument en hommage à Claude Debussy.


Durant la seconde guerre mondiale, François Malkovsky voyage en Afrique et en Algérie, où une de ses élèves, Ludmilla Ldinova, a ouvert une école. Cette parenthèse met fin à la carrière artistique de François Malkovsky qui donne son ultime récital le 18 juin 1948. Il se consacrera, par la suite, à l'enseignement de sa méthode de danse libre qu'il qualifie " d'art de vivre ".


À partir des années 1950, c'est un nouveau public qui découvre l'enseignement de François Malkovsky : les instituteurs et professeurs d'éducation physique.


Attirés par cette nouvelle méthode, les membres du corps enseignant viennent en nombre aux différents stages organisés au studio du boulevard Berthier mais aussi dans la France entière. Ce nouveau public oblige François Malkovsky à modifier quelque peu son enseignement. Pour le rendre plus abordable les mouvements de base et enchaînements sont simplifiés

En 1970, François Malkovsky se retire dans le village de Callian (Var) où il continue, jusqu'en 1981, d'enseigner dans son école de danse libre mais aussi par le biais de stages. François Malkovsky meurt en 1982, à Laon, au domicile d'une de ses anciennes élèves, Françoise Carlier.


A sa mort, ses plus fidèles disciples s'efforcent de perpétuer la mémoire et l'enseignement de Francois Malkovsky par l'entremise de publications mais aussi d'organisations de stages et de spectacles. Deux associations sont particulièrement actives dans ce domaine : Les Amis de Malkovsky, créée dès 1964, et Mouvement Musique créé en 1981 par Suzanne Bodak.


Extraits article Médiathèque du Centre National de la Danse 2012.



François Malkovsky (1889 - 1982), dessins et photographies par les frères Martel vers 1923


François Malkovsky et les femmes aux corps éthérés (1923) Etude à la mine de plomb


Etude préparatoire pour le bas-relief : Prélude à l'après-midi d'un Faune


François Malkovsky, le danseur philosophe


Monument à la mémoire de Claude Debussy. 
Projet définitif Boulevard Lannes Paris XVIème


Dessin pour la version définitive du monument, façade avant (1932)


La mise en chantier du miroir d'eau (1932)


Damoiselle à la viole, dessins et sculpture Martel (1932)


Projets et aboutissement de la partie centrale du triptyque avant du monument définitif


Joël Martel devant la tapisserie de pierre, partie centrale du triptyque, façade avant


Saint Sébastien, maquette atelier, détail


Damoiselle au luth, dessins et sculpture Martel (1932)


Esquisses pour le concert symbolique, partie centrale du triptyque arrière du monument


Montage de photographies collées et rehaussées de pastels secs pour le concert symbolique


Façade arrière du monument Debussy, le concert symbolique


Monument Debussy, le concert symbolique (détail)


Dessin et détail de la sculpture de Nijinsky au corps éthéré, partie supérieure du concert symbolique


Joël et Jan Martel devant le monument en 1932




Le jour de l'inauguration le 17 juin 1932


Le jour de l'inauguration, le 17 juin 1932, en présence du Président de la République Emile Lebrun et de Jean-Marcel Jeanneney, Président du Sénat depuis quelques jours


Un article de H. Van Loon dans la presse hollandaise en juillet 1932

Le Monument à Claude Debussy

 

Il n'est pas difficile d'écrire quelle liaison peut exister entre la musique et la plastique. Les sculpteurs Jan et Joël MARTEL ont eu devant eux la tâche difficile de réaliser cette liaison, en collaboration avec l'architecte BURKHALTER.


On a déjà lu ici l'inauguration du Monument à Claude DEBUSSY.


D'Amsterdam, Rotterdam, La Haye, Leuwarden, entre autres villes sont venus des dons.


Le monument a été réalisé grâce à l'intérêt manifesté dans tous les pays civilisés.


Il est situé à la lisière du Bois de Boulogne, auprès de la Large entrée appelée Porte Dauphine.


Actuellement il est encore un peu perdu entre les arbres, les maisons et le ciel.


Aux alentours travaillent des cantonniers. Mais la première impression est à peine troublée par ce léger désordre.


Le Comité eu la bonne idée de laisser de tous côtés de l'espace, celui des arbres et celui de la lumière qui filtre entre les nuages.


On circule aisément autour, et le Monument est visible de loin : c'est même ainsi qu'il apparaît le plus beau : car, il faut le dire dès maintenant, les frères Martel ont créé la une œuvre belle de maîtrise lyrique et d'essor vers le monde des rêves devenus Musique.


La disposition de la pièce d'eau rectangulaire devant le Monument est d'un très heureux effet.


Leur camarade DUDOK serait d'accord avec eux.


Le cadre du monument proprement dit est pur dans sa simplicité.


La partie centrale est une tapisserie de pierre qui coule telle une rivière apparemment désordonnée : elle évoque les œuvres de Claude Debussy, musicien français de l'Après Midi d'un Faune, de Pelléas et de Mélisande et de Saint Sébastien.


Ce tendre bas-relief est flanqué de deux figures féminines élancées, l'une jouant du violon et l'autre du luth, nobles par le jeu de leurs lignes dans les niches ouvertes elles se dressent vues de dos contre la lisière du Bois, et vues de face contre le ciel.


Au revers du monument dans l'angle droit du bas-relief, le Maitre, jouant du piano, est entouré par l'orchestre de ses amis qui le soutinrent, au-dessus desquels apparaît Nijinsky symbolisant la danse.


Dans les inscriptions, et suivie de la fine signature du compositeur, cette phrase :

" Il faut chercher la discipline dans la liberté, n'écouter les conseils de personne, si ce n’est du vent oui passe et nous raconte I'histoire du monde ".


Le monument, exécuté en pierre aggloméré, d'un seul bloc, donne ainsi l'impression d’un bel équilibre de larges valeurs, par les jeux d'ombre et les mouvements à la surface de l'eau changeante.


N’y a-t-Il pas des remarques à faire ? Certainement. Il y a en avait déjà une contenue dans le conseil de regarder de loin (pas trop loin.)


Les grandes lignes d'ensemble. Les figures de la face se meuvent à la limite de la réalité et du rêve.


Sur l'autre face, on s'est efforcé, bien que modérément, d’obtenir des ressemblances ou tout au moins des indications de ressemblances.


Probablement les sculpteurs furent ils dans cette directive. On peut leur demander d'un seul coup l’impossible, aller si loin, et c'est pourquoi ils méritent des louanges pour avoir pu déjà assez souvent ici nous avons critique les statues réalistes pour que les frères doués, qui ont leur superbe atelier dans la célèbre rue Mallet-Stevens, méritent tous les honneurs pour leur courage d'avoir donné corps à leur conviction, dans cette ville remplie de statues, partie du cadre de la ville qu'elles passent inaperçues.


H. VAN LOON.

Docteur ès lettres. (Nieuwes Rotterdamsche Courant - juillet 1932)